L’École alternative, l'avenir de demain?
- Meera Albrecht
- 28 juin 2022
- 9 min de lecture
Amandine, est une femme et une maman engagée. Ancienne Responsable des Ressources Humaines,elle a décidé de troquer sa casquette de RH il y a quelques années pour devenir instit et entrer dans L'éducation nationale par vocation . Aujourd'hui, elle nous partage un projet qui lui tient à cœur celui de monter une école alternative sur le modèle des écoles Sudbury. Acte citoyen, engagé et pleinement humain à l'image de ce qui l'anime au quotidien.
Peux tu nous décrire ton parcours? Qu’est ce qui t’a conduit à te reconvertir professionnellement?
A la base, j’ai suivi des études de psy pour me spécialiser en psychologie du développement et donc pour être prof.J’avais déjà en tête à l’époque de passer le concours. C’est une passion, une vocation depuis que je suis toute petite. Le passage du domaine des Ressources Humaines ou j’ai exercé 5 ans et celui vers le métier d’enseignant a été chaleureusement accueilli par mes proches. Ma mère elle même m’a dit avoir été soulagée lorsque je lui ai annoncé que je passais le concours. “enfin tu fais qqch qui te plait et te convient" m’avait elle dit. Je me suis en effet détournée un temps de cette vocation en découvrant la psychologie du travail. Moi, j’envisageais les Ressources Humaines en terme de développement des carrières, formation et de permettre aux salariés d’être bien à leur poste de travail. Je voyais que le côté humain, j’ai vite déchanté. (rire)
Ce n’est pas du tout l’expérience que j’ai faite au sein des entreprises successives ou j’ai exercées. Je n’ai pas trop aimé ma vie de RH: je suis tombée sur des gens qui étaient ni très sympathiques ni très humains. Sur le papier, les missions RH me plaisaient, ça avait l’air intéressant mais dans ce métier je me suis aperçue que rares sont ceux qui se sentent utiles dans leur travail et épanouis. De mon côté, j’ai très vite compris que me rendre utile pour les autres était une valeur essentielle. Dans ma journée, si je n’ai pas aidé des gens j’ai beaucoup de mal.Lorsque je travaillais en RH , certes je montais des projets GPEC, je faisais de la formation et du recrutement avec une certaine autonomie. Cependant trop de fois, je pensais pouvoir aller au bout de mes projets et finalement j’étais bloquée pour diverses raisons notamment financières. En bout de chaine, c’est horriblement frustrant pour soi et les salariés qui t’ont fait confiance. C’est une position que j’ai trouvée difficile à tenir face aux collaborateurs.
Dans quel contexte as tu sauté le pas de la reconversion?
A l’époque je travaillais à la française des jeux et avec l’arrivée d’une nouvelle responsable RH ma fiche de poste s’était réduite à peau de chagrin. Je suis tombée enceinte et là je me suis dit qu’au niveau des horaires et de la charge de travail ce ne serait plus possible d’être sur le rythme et de concilier vie professionnelle et personnelle. J’avais envie de profiter de l’arrivée du petit. Je me suis dit que je n’avais rien à perdre et dans le même temps je ne me voyais plus faire autre chose que prof. J’ai réussi le concours et j’ai passé 6 ans dans l’éducation nationale. J’ai fait 5 ans en zone d’éducation prioritaire.
Quel est ton retour d'expérience d'enseignante dans l’Éducation Nationale, quel constat fais tu?
Dès le départ, en tant que stagiaire je me suis retrouvée dans une grosse école avec des enfants de CM1 avachis sur une table et qui n’en avaient rien à faire.j’ai fait mon propre constat en une journée, c’était clair. J’ai vu des enfants qui s’ennuyaient, qui ne trouvaient aucun sens face aux apprentissages qu’on souhaitait leur faire absorber. Ils n’étaient là que par obligation. Ils n’y trouvaient aucun intérêt. J’ai vite compris que ce serait pas tenable pour moi d’être en frontal devant eux en mode maîtresse, à parler et eux à répéter de vieilles leçons. J’avais envie de voir devant moi des gamins qui réfléchissent . J’avais pas fait ce travail pour avoir devant moi des enfants qui ne réfléchissent pas.Pourtant, moi étant jeune, j’étais pourtant méga scolaire avec des professeurs pas toujours tendres. Néanmoins je ne suis pas sure que mon expérience scolaire ait joué un rôle dans mon envie de me former à des méthodes dites alternatives comme la méthode Frenet, Montessori ou Singapour.Je n’ai pas orienté ma pédagogie sur Montessori car je l’ai jugée trop individuelle. Elle me semble intéressante si l’élève est en difficulté pour l’apprentissage de la motricité ou de certains concepts. Je pense qu’il faut travailler aussi sur le projet pédagogique et sur la dimension du collectif. Je suis allée vers toutes les pédagogies: j’ai fait des formations en neurosciences et en sciences cognitives. L’école que j’ai ouverte est un mix de toutes ses méthodes justement. Elle est basée sur un principe démocratique, c’est à dire que la place de l’enfant est la même que celle des adultes . Toutes les décisions sont prises par le biais du vote après argumentation, discussions, débats, échanges. Je ne suis donc pas fermée à une seule pédagogie, j ai seulement essayé de trouver une méthode qui a de l’intérêt pour moi et pour les élèves.Lorsque j’étais encore à l’Éducation Nationale, j’ai mis en place avec quatre collègues des ateliers autonomes, en libre accès pour toutes les classes de CP et ce tous les après midi sur plusieurs périodes et plusieurs mois. L’inspectrice de l’académie a trouve notre projet génial, elle en a parlé au recteur. La directrice académique adjointe est venue avec six autres personnes. Après avoir loué notre initiative ils nous ont très rapidement reproché de ne pas avoir fait passer les évaluations de CP et de CE1. Ce sont des QCM géants, normés et chronométrés. A mon sens, cela ne reflète pas les capacités de l’enfant voire même le dessert. A mon sens, il y a trop de variables qui font que les tests ne sont pas valables. Ce retour de bâton, nous a vraiment démotivé. Heureusement j’avais autour de moi de super collègues et un directeur incroyablement humain.Quand je t’écoute, je me dis que tu as du bossé comme une dingue toutes ces années!Je pense que j’ai autant travaillé dans l’éducation nationale que dans les RH. J’aime tellement faire ce métier que ça ne m’a posé aucun problème. En plus, je suis tombée sur une équipe super avec un directeur profondément humain.
Les inspecteurs et les recteurs par contre nous donnaient des injonctions sans connaître notre environnement de travail. Pendant 5 ans, j’ai essayé de trouver une méthode pédagogique dans laquelle je trouvais de l’intérêt pour eux et pour moi. L’idée était d’extraire de toutes les ressources possibles la manière adéquate d’ intéresser et de développer les enfants.
Comment est né ce projet d'école alternative? Comment l'idée t'est venue? Le choix de la localisation?
J’avais le souhait de partir donc je me suis mise à disposition. Je voulais une maison avec jardin dans une ville à taille humaine mais desservie par une gare. J’ai regardé s’il n’y avait pas déjà un collectif qui s’était crée en région pour ouvrir une école.
J’ai effectivement trouvé un collectif entre Niort et Poitiers. J’ai pris contact avec ce collectif et un an avant de m’installer nous avons bossé toutes les cinq à distance pour ouvrir l’école l’année suivante sans même les connaître. Je suis très contente de notre localisation, c’est un coin préservé ou il n’y a pas trop de monde qui reste assez nature tout en ayant des évènements sympas qui soient organisés.
Peux tu nous donner les grandes lignes de la philosophie de cette école?
Dans notre école il n’existe aucune évaluation normative, on se base sur l’observation. Idem il n’y a pas de cours à proprement parlé, l’apprentissage qui vient des enfants. Ils sont acteurs de leurs apprentissages et autonomes. On fonctionne sur un système démocratique. La place de chacun est la même: il y a des adultes référents pour aider et régler les situations ou apporter des ressources.Notre école est ouverte des élèves de maternelle à ceux du lycée.Il n’y a pas de classes, on n'est pas convaincu que le classement par âge ait de l’intérêt .La notion de retard ou d’avancement dans les apprentissages est inexistante. Chaque enfant évolue selon ses envies, ses centres d’intérêts, ses capacités selon son rythme.
Comment peut on répondre à la diversité de profil des enfants réunis dans une même classe?
La facilitatrice a pour rôle de proposer différents supports et médiums et d’adapter les consignes selon l’âge des enfants. Les premières séances sont libres ce sont des “sensibilisations à”. Quant aux consignes elles sont aussi adaptées à l’interlocuteur.
Le référent doit avoir beaucoup de travail pour pouvoir composer avec l’hétérogénéité de la classe?
Ce qui nous a demandé le plus de travail c’est de devoir sans cesse se justifier face à l’extérieur. Hormis cela ca ne pose aucune difficulté de répondre à ce que l’enfant demande bien que ce soit du cas par cas. Il est plus difficile d’imposer des savoirs que d’apporter les ressources nécessaires aux besoins exprimés par l’enfant. C’est vraiment une autre vision de l’enfant et de l’apprentissage ou rien est imposé. Ce modèle ne s’adapte pas à toutes les familles mais ce serait chouette d’étendre ce type de pratique au sein même de l’Education Nationale pour s’adresser à tous.Peux tu nous décrire une journée type?L’école est ouverte dès 8h30 jusqu’à 10h. L’arrivée des enfants est échelonnée de manière la encore à respecter leur rythme. On essaye de toujours sortir le matin pour explorer la nature, s'évader dehors, et on déjeune vers midi. Ce temps est également libre et chacun y développe là encore son autonomie. Après, temps calme et / ou sieste pour tout le monde. On se retrouve, on se ressource. Les ateliers dispensés au cours de la semaine sont choisis tous les mardis après-midi pendant une heure lors de l’assemblée de l’école. Nous avons des clubs récurrents chaque semaine : arts visuels, lecture, journal de l'école.. Grâce aux propositions faites, on a pu aller au musée, à la médiathèque, ludothèque, organiser une journée complète à l'extérieur, faire des piques niques mais aussi créer des livres pop UP, faire un atelier cirque ou d'art thérapie.
Avec cette méthode d’apprentissage, on peut se demander si tous les enfants auront acquis par ex la lecture, l’écriture, à compter....etc Par exemple si je prends mon cas, j’adorais le dessin et j y passais beaucoup de temps potentiellement au détriment de matières dites “plus fondamentales”
Alors je suis convaincue que si tu es passionné d’art , petit à petit tu veux pousser ton art et ta réflexion. Dans cette perspective, tu vas faire des recherches qui vont te pousser tout naturellement de à développer d’autres compétences. La question de base, essentielle est la suivante “qu’est ce que tu aimes faire?” Et de cette passion, tout va partir. L’enfant va enrichir spontanément ses compétences dans tous les autres domaines. Le plus compliqué dans les écoles classiques ou alternatives c’est lorsque nous sommes face à des enfants qui ne veulent rien faire. Et encore nous avons réussi à faire sortir de sa bulle l’un de nos élèves qui reprend peu à peu de l’intérêt à la vie.Au delà d’une pédagogie, c’est un véritable courant de pensée.
Quel est la typologie des parents qui ont mis leurs enfants chez vous ?
Les familles intéressées par notre projet sont de profils très variés : des familles convaincues qui connaissent et qui sont très contentes d'avoir ce genre d'école dans la région, des familles intéressées par une alternative, avec ou sans mauvaises expériences, et des familles dont les enfants sont en total décrochage scolaire.
Durant la création administrative de l’école as-tu du faire face des écueils, des obstacles ? Le financement de l'établissement par exemple?
On est sur un statut de bénévole pour l’instant nous n’avons pas encore la possibilité de nous rémunérer. Nous avons pour l’instant 8 élèves. Seuls les frais de scolarité nous financent., Nous n'avons aucune subvention. Ces frais de scolarité à l’année s’élève à 3600€ . N’ayant pas de cantine ce sont les parents qui apportent le repas du midi.Pour ce qui est des obstacles, je dirai toutes les normes de sécurité et d’accessibilité.Ca nous a pris beaucoup de temps de trouver un local en plus nous n’étions pas vraiment soutenues par les villes, Il y a qu’une seule ville qui nous a donné du matériel scolaire.
Et à contrario, qu’elle est ta plus grande satisfaction?
Le truc positif ca a été l‘accueil des familles car tu sens à ce moment là que tu réponds à un besoin, que tu n’es pas une illuminée. Tu te sens utile car tu réponds à un réel besoin.Heureusement que nous avons une force de conviction qui nous porte au quotidien car même du côté des proches l’incompréhension sur mon projet règne. Ma mère la dernière fois m’a sorti ceci” mais quand est ce que tu comptes faire quelque chose?” Ils ne prennent pas au sérieux le projet. Je n’ai rien contre les incompréhensions ou les remises en question mais seulement si elles sont constructives pour nous aider à nous améliorer. Nous n’avons pas réponse à tout bien au contraire, on expérimente on essaye avec la meilleure intention du monde. Ce projet est une alternative pas une réponse à tout. Et je pense par ailleurs que n’étant pas éternels, il faut se lancer à un moment donné et faire comme on le sent.
Quels sont d'après toi les enjeux futurs liés à ton projet?
Nous changeons de local prochainement. Nous doublons la superficie et nous aurons un extérieur. Nous avons pour objectifs d’avoir plus de membres, plus d’élèves et d’enfin pouvoir se rémunérer. Avec trois fondatrices non rémunérées, le projet devient lourd à porter. De mon côté, je suis en parallèle conseillère en insertion professionnelle.
Dernière question et pas des moindres… Comment arrives tu à jongler avec toutes ces activités ?
Dès le départ de ce projet, j'ai pris en compte les choses qui me semblaient essentielles. Avoir du temps pour mon fils donc toutes les fins de journée et les mercredis je suis disponible pour lui. A partir du moment où j'ai cet équilibre, c'est plus facile pour moi de m'investir. Je bosse le soir. Au départ c'était non stop et puis maintenant on arrive à se caler une réunion hebdomadaire. Et puis bien sûr on établit une communication quotidienne entre collègues. La clé de notre réussite se base sur une communication constante bienveillante attentive entre nous.
Et puis, ma conjointe est là, très présente et compréhensive, ça aide aussi 🙂.
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